Archive Avril 2024
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Avril 2024
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Averroès & Rosa Park
Averroès et Rosa Parks : deux unités de l’hôpital Esquirol, qui relèvent – comme l’Adamant – du Pôle psychiatrique Paris-Centre. Des entretiens individuels aux réunions « soignants-soignés », le cinéaste s’attache à montrer une certaine psychiatrie, qui s’efforce encore d’accueillir et de réhabiliter la parole des patients.Peu à peu, chacun d’eux entrouvre la porte de son univers.
Dans un système de santé de plus en plus exsangue, comment réinscrire des êtres esseulés dans un monde partagé ?
Compte rendu de la séance
John
« A deux minutes de mon lit je suis à l’étranger » écrit sur un mur.
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » cité par un patient.
Les « voyages » des patients de l’hôpital Esquirol sont loin d’être beaux. Le réalisateur nous fait partager, avec beaucoup de bienveillance, les trajectoires inordinaires d’hommes et de femmes se prêtant à l’exercice et donnant leur consentement à être filmés pendant des entretiens avec leurs psychiatres. Nous sommes confrontés à une parole « libre » qui dérange, personne ne triche, et c’est cette parole sans frein « social » qui nous interpelle. Ce temps de parole siimportant et pourtant réduit en peau de chagrin, tellement il est menacé par le manque de moyens et de personnel, constat relevé par les patients qui sont parfaitement lucides à certains égards et qui s’exposent dans un jeu de miroir avec leurs interlocuteurs.
Philibert a visiblement pris le temps en amont de son documentaire, d’apprivoiser ce milieu si particulier et se rend presque invisible avec sa caméra. Le respect des souffrances des patients est total. Des patients qui cherchent à quitter ce lieu d’enfermement, pour certains qui cherchent Dieu, soit un absolu qu’ils ne sauront jamais atteindre. Qui aspirent à être dehors et libres et qui savent pertinemment que ce « dehors » est menaçant pour eux qui sont si vulnérables. Ils veulent respirer, ils suffoquent, en guerre contre eux-mêmes. Le contact humain, l’affection, le lien social et le sentiment d’appartenance sont primordiaux dans cette institution où certains se sentent déshumanisés. Quitte à faire vivre des fantômes et inventer une famille qui
n’existe pas.
Les spectateurs évoquent une dystopie à venir dans laquelle règnent des robots- psychiatres, ose-t-on même imaginer l’éventuelle élimination de ces malades, malheureusement ce cauchemar a déjà eu cours dans un passé récent. On évoque le retour des liens pour attacher les malades, pratique qui avait pratiquement disparu.
On n’oubliera pas cette scène d’anthologie du professeur agrégé de philosophie, pour qui chaque cours était le cours de sa vie et dont l’exaltation lui rendait la vie insupportable. Juif, bouddhiste, marxiste, anarchiste, trop de casquettes pour une seule tête même s’il considère qu’il a « les moyens de sa mégalomanie ».
Magnifique documentaire.