Archive Janvier 2024
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Janvier 2024
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Ma France à moi
France, la soixantaine, vit seule dans son appartement bourgeois de l’est parisien. Lorsqu’elle entend parler à la radio d’une association qui met en contact des personnes réfugiées sans logement et celles ayant la possibilité de les accueillir, elle décroche son téléphone pour se porter volontaire.
Quelques jours plus tard, Reza, jeune afghan d’à peine vingt ans, débarque dans sa vie. Ces deux êtres, qui n’ont rien en commun, vont devoir apprendre à vivre ensemble…
Compte rendu de la séance
John
C’est la rencontre de personnes traumatisées par des passés douloureux qui restent peuplés de fantômes. France qui cherche les fantômes d’un mari décédé depuis un an et un fils parti à l’étranger, ce fils qui refuse même l’idée que sa mère puisse accueillir un immigré. Reza, jeune réfugié qui a tout perdu en quittant son Afghanistan natal, notamment sa famille. Rencontre entre une femme française riche qui a tout sauf l’essentiel et notre immigré qui porte toutes ses possessions dans son petit sac à dos. Certains spectateurs ont vu un joli conte sur le définition de la vraie richesse.
On a affaire à un feel-good movie dans lequel c’est l’intelligence, le raffinement et la finesse de Reza le jeune afghan qui permettront à nos bons bourgeois de changer leurs points de vue totalement stéréotypés . C’est cela qui me gêne dans ce film trop prévisible, parfaitement manichéen ; est-ce crédible qu’une femme comme France manque autant de capacité de communiquer avec un étranger ? Sans exiger d’elle qu’elle possède possède tous les codes de la communication trans-culturelle, ses bourdes sont énormes et peu crédibles. Dans sa douleur France habille Reza avec les vêtements de son mari défunt et octroie la chambre de son fils à son nouveau protégé. A la recherche d’un remplaçant de mari et de fils elle a en plus le culot d’emmener Reza voir un psychiatre. Qui a le plus besoin de soins ?
Le film a néanmoins provoqué un long débat de qualité avec de nombreuses interventions
Jean-Marie
Le côté autobiographique du scénario, attesté par le fait qu’il repose sur un livre du réalisateur qui parle de lui, de sa mère et du réfugié afghan, est censé préserver le film du gros poids de clichés parfois pénibles dont a première vue il est lesté. C’est manifestement volontairement qu’on charge le portrait de la mère en dragon excentrique pour mieux, par effet de contraste, la faire ressurgir en femme forte et en héroïne des bonnes causes : un mixte de madame Bovary et d’abbé Pierre des beaux quartiers. Semblablement, le fils, lourdingue dans l’autre sens, celui du réalisme, va évoluer pour devenir un parangon d’humanité, d’altruisme et de fraternité. C’est un peu trop cousu de fil blanc, c’est vrai, mais ça peut marcher pour qui est venu (ce n’est pas si fréquent) passer une soirée légère au Ciné Lumière dans nos séances de Ciné Rencontres. C’est vrai aussi, et c’est même peu dire, que le réalisateur évite ainsi l’écueil contraire, celui d’un film d’élogieuse autopromotion de bout en bout. Il ne nous dit pas du début à la fin que sa famille est formidable, il ne nous le dit qu’à la fin. Ce qui, par ailleurs, n’est pas sans risque. Il est des spectateurs qui, restant sur l’impression de personnages farfelus du début, ont eu du mal à remonter la pente à la fin.
On a trop dit aussi dans le débat pour cautionner la véracité des scènes que c’était « une histoire vraie ». C’est inspiré d’une histoire vraie, et la nuance est de taille. J’ai pensé, avec ce portrait de « mère forte », et je n’exclus pas du tout bien au contraire que Benoît Cohen y ait également songé, à la mère du narrateur dans La promesse de l’aube. A ce propos, Romain Gary nous mettait justement en garde : « Ce livre est d’inspiration autobiographique, mais ce n’est pas une autobiographie. »
Il reste que cette polysémie permise par l’autobiographie (« Ma France » désignant à la fois « ma mère » et « mon pays ») ouvre immédiatement une autre perspective qui n’est pas la moins intéressante. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit la plus convaincante. Le débat a bien montré que le thème et l’orientation du film nous incitaient à voir le bon côté d’un destin heureux tout à fait possible. D’autres, plus critiques, en ont souligné l’aspect malheureusement par trop exceptionnel, et s’il faut se réjouir de ces réussites particulières, il n’en faut pas moins savoir que le déterminisme social n’est pas seulement de vaines statistiques chères aux sociologues à la suite de Bourdieu, mais bien une triste réalité. Pour un Mohammad qu’on mène à Sciences Po, combien de Mozart qu’on assassine…
Le thème du film nous incitait à parler des valorisations intellectuelles, mais la question du tri effectué entre ceux qu’on admet et ceux qu’on refuse vaut aussi pour tout pays qui pratique ce qu’on appelle par euphémisme « l’immigration choisie », qu’elle se fasse sur des critères manuels ou intellectuels, généralement les deux. La situation est la même : tout en les exploitant en interne, et parfois en suscitant hypocritement contre eux l’hostilité des populations locales (on a cité à ce propos l’Italie de Giorgia Meloni), on en prive les pays d’origine (médecins algériens, professeurs marocains, mineurs puis plombiers polonais, maçons italiens, Portugais du bâtiment, …).
Reste aussi la question scandaleuse de la trahison des interprètes. Utilisée dans un autre contexte, la locution italienne « Traduttore, traditore » nous vient à l’esprit. La polysémie est fertile, là encore. Mais il ne s’agit pas en l’occurrence de la nécessaire perte de sens en passant d’une langue à une autre, il s’agit bien des hommes et des dangers mortels qu’ils encourent. « Traducteur, traître », dit l’expression, et on sait qu’elle est prise au pied de la lettre par les talibans, qui en font un motif de condamnation à la peine capitale. Remontons à la cause : la trahison des interprètes, c’est aussi se souvenir qu’ici ils ne sont pas d’abord les sujets, mais bien les objets, c’est-à-dire les victimes de la trahison. Le sujet de la trahison, en l’occurrence, c’est bien la France qui, après les avoir utilisés à son profit tant qu’a duré la guerre, les a abandonnés en rase campagne aux mains de leurs bourreaux. On a cité d’autres cas de ce genre, peu glorieux dans notre histoire, comme les Kurdes ou les harkis.
Le titre réveille aussi d’autres pistes par association d’idées : « Ma France à moi » sous-entend immédiatement : « Pas leur France à eux ». La France qui accueille, la France généreuse, contre la France qui exclut, la France haineuse. En plein virage législatif anti immigration en ce moment dans notre pays, censé être celui des droits de l’homme, le message ne tombe pas si mal. On connaît trop les slogans contraires qui sont associés : « La France aux Français », « On est chez nous ». Ce qui nous renvoie à des films qui ont fait partie de notre programmation antérieure, et donc aux débats de notre actualité d’alors, qui, malheureusement, ne sont pas devenus obsolètes, tant s’en faut, dans notre actualité d’aujourd’hui.