Archive Janvier 2024

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Janvier 2024

  • Moi Capitaine

3 janvier 2024 en salle | 2h 02min | Drame
De Matteo Garrone
Par Matteo Garrone, Massimo Gaudioso
Avec Seydou Sarr, Moustapha Fall, Issaka Sawadogo

3 janvier 2024 en salle | 2h 02min | Drame
De Matteo Garrone
Par Matteo Garrone, Massimo Gaudioso
Avec Seydou Sarr, Moustapha Fall, Issaka Sawadogo

Synopsis :

Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple.

Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité. 

Compte rendu de la séance

John

Notre public était choqué par de nombreuses scènes du film qui relate la traversée de migrants africains depuis le Sénégal jusqu’en Libye en voiture avant de poursuivre la traversée de la Méditerranée vers la Sicile . Certes ils y arrivent, mais est-ce pour autant un happy-end ? Le fait de mettre un pied en Europe n’est que le premier pas d’un nouveau périple semé de dangers et d’entraves administratives énumérés par un témoin congolais qui nous a rejoints hier soir. L’hypocrisie et l’hostilité font son quotidien. Depuis dix ans en France avec son fils de 15 ans, il vit encore sans papiers lui autorisant un séjour illimité. Pas de papiers, pas de travail, pas de logement en dehors du CADA (Centre D’accueil pour demandeurs d’asile). Sans salaire juste une pitance de survie. Quel avenir pour eux ?

Quelques heures avant la projection nous avons appris le rejet de 40% des articles du projet de loi sur l’immigration par le Conseil Constitutionnel. Un vrai camouflet pour la droite radicale et l’extrême droite .

Je m’en remets aux experts pour de plus amples précisions

Jean-Marie

Chaque fois, et c’est souvent le cas ces derniers temps, que je vois un film avec des migrants fuyant un milieu hostile, et en traversant un autre tout aussi hostile dans des conditions épouvantables, me viennent en tête ces vers d’Aragon chantés par Jean Ferrat dans « J’entends j’entends » :

Ce qu’on fait de vous hommes, femmes
Ô pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m’arrache l’âme

Pourtant tout n’est pas visiblement tragique cette fois, au tout début. On a été frappés au contraire par les couleurs, la gaité, la vie, tout en mouvements et en harmonie familiale, des premières séquences. Mais le drame surgit brutalement, d’une façon aussi irrationnelle que dans la nouvelle d’Alphonse Daudet : car le regard soudain inquiet de la mère doit être le même que celui de monsieur Seguin, quand il comprend que rien ne pourra empêcher sa chèvre chérie d’aller se jeter dans la gueule du loup.

Et là se situe le premier et le plus important paradoxe du film. Alors que toutes les associations de soutien aux migrants font des efforts méritoires de pédagogie pour qu’on comprenne bien que, malgré la propagande contraire, ce n’est jamais sur un caprice ou par légèreté qu’on s’arrache au lieu où on est venu au monde, où on a toutes ses racines ; que c’est toujours un drame absolu, un déchirement, une nécessité impérieuse qui fait qu’on va prendre tous les risques, et d’abord celui de perdre la vie. Or ici on n’a absolument rien de tel. On a juste deux ados immatures qui rêvent, qui n’écoutent rien des avertissements pourtant très fermes qu’on leur adresse. On peut se demander ce qu’il peut bien y avoir de progressiste dans cette présentation. Peut-être que l’intervention de Dino peut nous en fournir une relativement positive, quand il fait état d’une interview de Matteo Garrone : en nous montrant des ados qui vont payer très cher – beaucoup trop cher – leurs rêves et leur immaturité, le réalisateur nous les montre là-bas exactement semblables aux nôtres ici, et cette sympathie provoquée fait qu’on n’admettra à aucun prix la dureté du sort qui les frappe. Impossible en effet de trouver normal qu’on puisse mourir de rêver et d’être encore immature à seize ans.

Le second paradoxe important du film concerne la traversée elle-même, pleine de dangers, et cependant d’une réussite invraisemblable même si elle est bien sûr relative, tant en ce qui concerne les deux ados que ceux qui sont embarqués avec eux. Une femme meurt, certes, mais d’autres, avec des enfants en bas âge, dans une marche éprouvante dans les dunes infinies et sous un soleil de plomb, arrivent au but. Et Seydou et Moussa se retrouvent, après avec été séparés dans des conditions qui, dans la réalité, sans l’aide de celui qui a écrit le scénario, ne laissent à l’évidence aucune chance de ce genre.

Par ailleurs, oui, ils sont en vie, et je maintiens que cela suffit amplement à parler d’une happy end (ou d’un happy end) du film. Il n’y eut aucune panne tragique de moteur dans l’interminable traversée de la Méditerranée. Ils sont ensemble et encore vivants. Qu’est-ce qu’on voudrait de plus dans ces conditions ? L’âge qui est le nôtre ne nous permet pas d’exciper de la naïveté qui est la leur. Retenons donc qu’à seize ans le capitaine s’est conduit comme un héros et qu’il a aussi eu bien de la chance. C’est la volonté du réalisateur, je ne veux pas la contester.