Archive Novembre 2023

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Novembre 2023

  • L’Abbé Pierre, une vie de combat

8 novembre 2023 en salle | 2h 18min | Biopic, Drame
De Frédéric Tellier
Par Frédéric Tellier, Olivier Gorce
Avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz
8 novembre 2023 en salle | 2h 18min | Biopic, Drame
De Frédéric Tellier
Par Frédéric Tellier, Olivier Gorce
Avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz
Synopsis :

Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action.

Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.

Compte rendu de la séance

John

Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône.

On va au cinéma pour se faire plaisir, pour s’instruire, « se déniaiser » comme diraient les québécois, faire des découvertes, s’ouvrir à d’autres mondes et bien d’autres raisons encore. Hier, dans la salle, nous avons pris un uppercut qui nous a mis KO en nous rendant compte que malgré une vie entière à donner une voix à tous ceux qui n’en ont pas, l’Abbé Pierre, s’il ressuscitait, verrait que peu de choses ont changé. Il y a encore 330.000 personnes sans domicile fixe en France, 4.000.000 de mal-logés. Mais ce n’est qu’un film, que l’on regarde bien assis, au chaud puis on quitte la salle pour prendre sa voiture pour rentrer chez soi. Clap de fin ?

Soudain, à la sortie de la salle, la vraie vie reprend et l’on trouve un SDF appuyé contre la vitre du cinéma à côté de la porte d’entrée. Chaussures et chaussettes trempées, les pieds nus blancs et enflés d’avoir passé trop de temps dans l’eau. D’habitude, je passe en faisant semblant de ne rien voir, ce soir cela m’est impossible. On est plusieurs à se regrouper autour de lui. J’ai devant moi un naufragé, un oisillon apeuré tombé du nid. Notre réponse sera collective : un appel au 115 : « on a une voiture mais pas de chauffeur ». En tout cas il n’y aura pas de place à Bourges au foyer Saint François. Alors on va chercher une veste polaire, une couverture, une paire de chaussettes et de quoi manger et boire. Quelqu’un promet de revenir le voir demain pour l’emmener chez IMANIS, on lui dira bonjour, il prendra un petit déjeuner et pourra se laver . Le cinéma et la vie réelle se retrouvent sur le trottoir.

Revenons à l’abbé Pierre qui tire sa force de sa capacité à douter de lui-même jusqu’à la fin de sa vie où il questionne sa foi. L’autre force, c’est sa capacité à accepter ses propres contradictions et celles qui se mettront en travers de son chemin. Son besoin de « connaître » les plaisirs de l’amour charnel, son choix de renoncer à ces plaisirs. L’obligation de tuer pour vivre pendant la guerre et ses actions dans le maquis du Vercors, lui qui prône la non-violence mais qui accepte d’employer la violence contre la lâcheté.

L’abbé Pierre, renvoyé de l’ordre des Capucins, incapable de mener ses hommes sur le front de guerre à cause de sa fragilité physique, mettra du temps pour trouver sa voie au service des autres, avec son amour pour tous, quels que soient leurs défauts, leurs imperfections, éventuellement leurs crimes. Sachant s’entourer de personnes de grande valeur, notamment Lucie Coutaz sa fidèle secrétaire pendant 40 ans et Georges, celui qui imagine le concept des chiffonniers d’Emmaus. Georges, parricide et libéré de prison avant le terme de sa perpétuité car il a sauvé un gardien lors d’un incendie. N’oublions pas François son ami de jeunesse, rencontré quand ils étaient scouts. François qui l’appelait le « castor méditatif ». Sans eux il n’aurait jamais pu conduire ses projets, fallait-il savoir les dénicher pour s’en entourer et ainsi mener à bien son travail immense qui l’obligeait à se doper aux amphétamines pour essayer de tenir le coup.

Iconoclaste, révolutionnaire avec un côté anarchiste, cet indigné permanent était capable de commettre des actes illégaux dans une forme de désobéissance civile. Un mélange de Mère Teresa, Jésus Christ, Che Guevara, Marx et même Ruffin. De jolis modèles.

Il pensait avoir échoué car les choses n’avaient pas changé assez vite pour lui qui fonça toute sa vie tête baissée. Nos spectateurs ont rejeté cet avis, on a besoin de personnes de cette trempe, c’est sans doute ce qui manque aujourd’hui. Un film qui remue en traçant avec fidélité les neuf vies de cet homme remarquable. Saluons au passage le jeu des acteurs, un seul acteur pour jouer l’abbé Pierre de 25 ans à 95 ans. Prodigieux.

Jean-Marie

Je ne sais pas si c’est volontaire de la part des auteurs, mais j’ai apprécié que le film ne se soit pas lancé à tombeau ouvert sur une autoroute hagiographique. Comment interpréter, à la fin, ces autoflagellations de l’abbé sur le thème de « Je n’ai pas réussi », voire « J’ai échoué » ? Sans doute sommes-nous orientés vers : « Eh non l’abbé, tu es admirablement modeste, mais ton œuvre aura été exemplaire de réussite dans ta lutte contre la pauvreté ». Mais souterrainement on peut aussi penser : « Voilà de la lucidité, dommage qu’elle soit tardive ! ».

Et quand, à la fin, en conclusion de toute cette vie, on fait défiler en un long travelling horizontal les tentes et les abris précaires de nos nombreux SDF contemporains, sans doute cherche-t-on à nous faire soupirer : « Quel dommage qu’il ne soit plus là, combien serait nécessaire à notre époque d’autres hommes comme lui ! » Mais aussi : « Voilà bien la preuve qu’il n’a servi à rien, si ce n’est à servir d’alibi à une société qui produit de la misère et qu’il n’a jamais sérieusement contestée. » On ne devient pas aussi longtemps la personnalité préférée des Français sans un appui constant de médias dont les intérêts ne sont pas ceux du plus grand nombre.

Ainsi, on nous a fait savoir à grand renfort de reportages et d’interviews que les Restos du cœur allaient vers la faillite. Le temps que les pauvres (ce sont en effet les plus « généreux » dans ces circonstances) viennent au secours de plus pauvres qu’eux, en attendant que les milliardaires viennent, au moindre frais possible, combler le déficit d’institutions caritatives si précieuses pour eux qu’il est impossible qu’ils les laissent disparaître.

Au début, loin de la servitude volontaire à la mode en ce moment, le voilà qui n’hésite pas à prôner la désobéissance civile : « Si les lois sont mauvaises, il faut leur désobéir ! » Quelques compromis (compromissions ?) plus tard, le voilà qui se contente de vouloir culpabiliser les riches, eux qui ont tout et qui ne donnent rien aux autres, semblable en cela au ministre de l’économie ultra néolibéral faisant les gros yeux aux multinationales profiteuses des crises qui se succèdent pour les inciter (pour tous les autres, c’est la contrainte) à partager un peu de leurs énormes richesses.

Est-il sacrilège, en notre temps, de définir ainsi l’abbé Pierre : un être exceptionnel, comme il y en peu dans l’Histoire, nécessaire et remarquablement efficace dans le court terme, nettement plus moyen à moyen terme, mais malheureusement inutile, et même nuisible, dans le long terme.

Commentaire statistique du travelling final: dans notre pays (la 5e ou 6e économie du monde), on compte 330 000 personnes sans domicile fixe, dont 2800 enfants qui dorment sans toit sur la tête, dont encore 700 bébés de moins de 3 ans. Des chiffres qui glacent, même s’ils glaceront toujours beaucoup moins que la réalité.