Archive Novembre 2023

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Novembre 2023

  • Les voies jaunes

15 novembre 2023 en salle | 1h 41min | Documentaire
De Sylvestre Meinzer
Par Sylvestre Meinzer
15 novembre 2023 en salle | 1h 41min | Documentaire
De Sylvestre Meinzer
Par Sylvestre Meinzer
Synopsis :

Revêtus d’un gilet jaune, des femmes et des hommes se sont rassemblés pour exprimer leur colère et leur détermination à changer de monde.

Sur une ligne qui va du Havre à Marseille, derrière l’image tranquille des paysages, d’une nature sereine et des scènes de la vie ordinaire, des voix d’anonymes apparaissent et se répondent.

Compte rendu de la séance

Jean-Marie

Merci à Ken Loach d’avoir bien voulu assurer la première partie d’un diptyque dont ce film est le digne complément. On dénonce sans ambiguïté les causes de la maltraitance du peuple chez l’auteur britannique, on les fustige avec au moins autant de force chez la réalisatrice qui nous a fait ce soir le plaisir de sa visite. En effet, les responsabilités sont clairement désignées, et même parfois leurs auteurs sont explicitement nommés, en parfaite résonance avec notre actualité française. Pour nombre de gilets jaunes, la conscience de classe naquit des expériences communes sur les ronds-points. On y apprend par exemple quand et comment il faut dire « non », ce que l’école institutionnelle a bien du mal à faire. On est clairement dans la continuité de films que nous avons présentés dans notre programmation, ceux de Ruffin, de Perret ou encore de Basile Carré-Agostini, sur les Pinçon-Charlot.

Et si le débat fut riche et varié, c’est que le film a rencontré l’adhésion du public présent. Rien d’étonnant à cela : un film qui traite aussi bien de la quête de la dignité ne pouvait pas se moquer de son public. C’est évident, dès les premiers plans, qu’on va s’adresser à la fois à sa sensibilité comme à son intelligence. Les voix off, associées à des images en contrepoint soignées comme des photographies ou des tableaux, donnent à réfléchir autant qu’elles émeuvent. Pas de pathos facile : le débit maîtrisé, même quand il dépeint les horreurs des répressions brutales, garde toujours une retenue qui en impose, et qu’un sociologue présent a caractérisé comme la réflexivité du discours.

Tout fait sens, même dans les plans les plus inattendus. Par exemple, le récit des nasses policières dans le contexte hyper urbain de la Place d’Italie est transcrit en images par le vent fouettant les hautes herbes d’un champ. Le montage métaphorique a donné lieu à plusieurs interprétations (chacun se fait son film, et c’est bien légitime), notamment quand il s’agit des nombreux animaux présentés comme des vedettes ou des vecteurs de tendresse : les chats (choyés dans un foyer bien pauvre), les chiens (aimés et aimants, mais aussi attachés à leur chaîne), les poissons (heureux dans l’eau ou emprisonnés dans leur bocal), les vaches (de celles-là on ne souhaite pas la mort),… et jusqu’au cochon, dont je ne vous dévoilerai pas l’interprétation de la réalisatrice (il fallait être là !).

La beauté est toujours présente dans le film, et pas seulement dans les vues de paysages, de la mer bien sûr, mais aussi de la campagne verdoyante et des eaux vives courant dans des prairies paisibles. Même les paysages urbains dégradés, les façades de béton abîmées, les murs lézardés, les installations portuaires anarchiques en apparence, ont leur esthétique propre. De Vierzon, on aurait pu choisir la toute neuve place Jacques Brel. Mais dans le propos du film, le poste des Forges numéro 6 de la gare a bien davantage de sens (au passage, remarquons que Le jour et l’heure de René Clément n’est plus le seul à présenter un aperçu sur la gare de Vierzon…).

On ne souhaite qu’une chose, c’est que ce film devienne l’élément canonique d’un ensemble qui devrait prospérer à l’avenir. Car notre époque, dont la dureté individualiste appelle irrésistiblement en compensation sa pleine charge de tendresse collective, a tout pour favoriser un genre cinématographique que, dans une totale absence de modestie, j’ai choisi de baptiser «le militantisme poétique».