Archive Novembre 2023
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Novembre 2023
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The Old Oak
TJ Ballantyne est le propriétaire du « Old Oak », un pub situé dans une petite bourgade du nord de l’Angleterre. Il y sert quotidiennement les mêmes habitués désœuvrés pour qui l’endroit est devenu le dernier lieu où se retrouver. L’arrivée de réfugiés syriens va créer des tensions dans le village.
TJ va cependant se lier d’amitié avec Yara, une jeune migrante passionnée par la photographie. Ensemble, ils vont tenter de redonner vie à la communauté locale en développant une cantine pour les plus démunis, quelles que soient leurs origines.
Compte rendu de la séance
John
Vous êtes plutôt Robin des bois ou Ali Baba et ses 40 voleurs ? Drôle d’expression en français. Ken Loach ne fait pas de choix dans son nouveau film qui est une fois de plus dédié à sa conviction intime que tous les hommes sont égaux et méritent le même traitement dans une société leur prodiguant de quoi vivre décemment. Une société basée sur la solidarité pas la charité, cette même solidarité qui était l’éthique des mineurs avant le démantèlement de l’industrie charbonnière par les gouvernements successifs britanniques, notamment celui de Margaret Thatcher. Le « marra » nom du chien de TJ , le marra un mot des mineurs qui voulait dire que chacun était l’égal de l’autre, tous solidaires dans un effort collectif.
TJ, ancien mineur, est aujourd’hui tenancier d’un pub sur le déclin dans un village dévasté. Derrière son bar face à ces anciens mineurs qui noient leur chagrin et leur désolation dans leurs chopes de bière et déversent leur haine sur ces nouveaux arrivants, réfugiés syriens qui deviendront leurs boucs émissaires, tous profiteurs du système qui leur donnerait tout au détriment des purs sujets britanniques. La propagande aidant , le racisme ordinaire prend racine.
En face ce collectif célébré dans la course relais, dans ces photos des galas des mineurs marchant fièrement devant la cathédrale de Durham, magnifique ouvrage issu des efforts collectifs encore une fois de ses bâtisseurs et qui appartient au peuple pas à l’église. Cathédrale admirée par Yara , cette réfugiée syrienne qui arrive avec un autocar rempli d’ exilés fuyant la guerre en Syrie et toutes les horreurs du régime de Bachir Al Assad. Sa cathédrale à elle, Palmyre, détruite par des forces obscures alimentées par la haine de l’autre.
Loach nous offre une magnifique polyphonie à huit voix dont les harmonies résonnent dans le chœur de la cathédrale, polyphonie à huit voix qui sonne dans le cœur de Loach et symbolise une société mixte qui trouve sa force, sa solidarité et sa résistance dans la rencontre qui s’oppose à la division.
Certains ont trouvé que le film idéalisait un peu trop cette foi dans un changement possible, mais Loach sans foi est un homme mort. Pourtant comment comprendre ce commentaire dans le film « l’espoir est obscène ». Le réalisateur aurait des doutes ?
Je ne devais pas écrire aujourd’hui. Je n’ai pas le temps car je dois partir. Mais comment résister ? Alors un petit papier vite fait sans relecture, sans doute maladroit.
Jean-Marie
Voilà deux films qui se suivent, avec la même thématique, à tel point qu’ils appellent spontanément la comparaison, et même qu’ils semblent dialoguer entre eux. Dans les deux cas, le thème central est la misère, et le moyen de la combattre. Mais si le thème est semblable, le point de vue est radicalement différent : comparer, c’est bien évaluer les poids respectifs des ressemblances et des différences.
Chez Loach, la misère ne se confond jamais avec une sorte de fatalité météorologique à laquelle il faudrait faire face uniquement par une entraide immédiate, qui serait principalement le fait des personnes directement concernées, tandis que pour les autres, on ferait appel à leur bon cœur sous forme de charité bienveillante.
C’est toujours chez lui un monde de luttes, évidemment de luttes de classes, qui aboutit à une dichotomie plus ou moins dramatique entre les vainqueurs et les vaincus. Ici, nous avons les vaincus, ceux qui ont lutté avec vaillance, qui ont entrevu et voulu un monde meilleur, et qui ont été vaincus. Spontanément, j’ai pensé à la seule période de notre histoire où peuples et dirigeants ont œuvré dans le même but, celui d’une justice sociale. Ce fut pendant la Commune de Paris, en 1871. Inutile de rappeler avec quelle brutalité ces vrais républicains-là ont été vaincus : ils ont tout simplement été massacrés.
Chez Loach, on ne tourne pas autour du pot, on ne se cache pas derrière son petit doigt, et c’est bien, film après film, ce qu’attendent ceux qui le soutiennent et lui sont plus que jamais fidèles. Chez lui, on ne cache pas le fait que la misère n’est jamais combattue, qu’elle est même entretenue, et qu’elle ne vient pas de nulle part : si vos patrons sont riches, c’est que vous êtes pauvres. Et si cela est possible, c’est évidemment qu’une politique est menée en ce sens, par des gouvernements dont c’est le rôle premier.
J’avais rappelé dans mon billet précédent le scandale de la situation dans la 6e ou 7e puissance du monde (précisons : 330000 SDF, dont 2800 enfants qui dorment sans toit sur la tête). Loach dit ici explicitement de l’Angleterre qu’elle est la 6e puissance économique du monde et qu’elle est le lieu de ce scandale. L’ensemble des médias dominants, tenus par des milliardaires qui ont les mêmes intérêts, font en sorte qu’on évacue ce débat, préférant hypocritement, pour parodier Bossuet, déplorer ostensiblement les effets dont ils occultent soigneusement les causes qu’en réalité ils chérissent. D’où ces éternels débats, qui tournent en rond depuis toujours, sur la misère qu’on va enfin éradiquer, alors qu’elle ne fait que s’accroître.
Pas besoin d’être grand clerc pour savoir que cela va encore durer très longtemps. On comprend le désespoir, proche de la tentation suicidaire, des pourtant très vaillants lutteurs du film. Une chose est sûre selon Ken Loach : si un monde avec moins de misère est possible, c’est d’abord à tous ceux-là, sortis du désespoir et massivement unis dans un combat commun, qu’on le devra un jour. C’est ainsi en tout cas que j’interprète la séquence de fin, laquelle suit une autre séquence positive dans cette atmosphère globalement désespérée : celle où le village, petit à petit, se rallie à la famille meurtrie, dans une communion solidaire unanimiste. Là, c’est au film L’Espoir que j’ai pensé, le cadavre accompagné par la foule révélant, au vu de tous, une redoutable solidarité. Une solidarité non pas pleurnicharde prisonnière du présent, mais une solidarité qui soit , enfin, une vraie promesse d’efficacité pour l’avenir.