Archive Septembre 2023
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Septembre 2023
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Coup de chance
Fanny et Jean ont tout du couple idéal : épanouis dans leur vie professionnelle, ils habitent un magnifique appartement dans les beaux quartiers de Paris et semblent amoureux comme au premier jour.
Mais lorsque Fanny croise, par hasard, Alain, ancien camarade de lycée, elle est aussitôt chavirée. Ils se revoient très vite et se rapprochent de plus en plus…
Compte rendu de la séance
John
Suite au débat des plus contradictoires, une adhérente m’a dit en sortant de la salle que j’étais certainement trop rationaliste du fait de mon éducation anglo-saxonne et de ce fait, incapable du lâcher prise nécessaire pour apprécier le 50ème film de Woody Allen et son premier film en français. Bref, je ne me suis pas laissé bercer comme la majorité du public dans la douceur de Paris à l’automne, dans ce qui était pour moi une tisane tiède. Allen aime les français mais certainement pas les personnages de son film, les caricatures d’héros Macroniens.
Certes il a le droit de faire ce qu’il veut, de se faire plaisir, de jouer « avec son train électrique » comme le personnage principal ; certes, il y a sans doute une lecture au deuxième degré, encore faut-il se donner la peine de le chercher. Sinon une lecture frontale bute sur un amas de clichés, de personnages insipides, de nombrilisme à outrance. Un scénario qui ne tient pas la route, construit avec de grosses ficelles tellement évidentes et tellement prévisibles que l’on se prend les pieds dedans à chaque pas.
Vous avez compris que je n’ai pas aimé le film et pourtant je suis amateur de ses films américains, j’ai tout de même l’impression qu’il n’a pas encore compris assez bien la France pour trouver son sujet.
La seule chose que j’aie appréciée était la bande-son. On connaît l’amour du jazz du réalisateur et dès les premières images du générique, on entend des notes de Milt Jackson et Nat Adderley. Le réalisateur abandonne le style de la Nouvelle Orléans présente si souvent dans ses films pour célébrer le jazz à Paris autour de l’année 1958.
Pour la plupart des spectateurs le film reste intéressant sans être inoubliable.
Jean-Marie
Ayant eu le malheur de jeter un œil sur les premières critiques qui me tombèrent sous la main, je dois reconnaître que j’étais un peu influencé négativement en abordant la projection de ce dernier (au moins au sens de plus récent) opus du grand réalisateur (quoiqu’on pense de sa vie privée, ce qualificatif lui convient) qu’est Woody Allen. En effet, j’ai parcouru des remarques comme « rempli de clichés », « superficiel », « aucune profondeur », etc.
Mais dès le début de la projection, je constatai que j’allais au-devant d’une bonne surprise. Bien sûr les clichés, mais le réalisateur en joue avec une telle virtuosité, en les sublimant, que c’est un vrai bonheur. Les vues de Paris ne sont pas aussi cartes postales qu’on a pu le dire, et le réalisateur n’a pas peur du rapprochement avec une série aussi en vogue que peut l’être Emily in Paris : l’acteur qui joue le personnage de Gilles, le complotiste aux extraterrestres, est un comparse important de la série. J’adhère, je souris intérieurement, la complicité entre le réalisateur et moi est totale. Je sais bien sans recourir à Pascal que le moi est haïssable, mais comme je suis bien conscient également que cette réaction est loin d’être unanimement partagée, je n’ai pas le choix.
Superficiel ? Mais la profondeur de Woody Allen est si bien cachée derrière une apparente frivolité qu’elle est d’autant plus efficacement offerte: elle est agréablement infusée dans notre esprit grâce à des plans d’une fluidité impeccable. Pas de doute, et ce n’est pas une surprise, ce monsieur connaît son métier. Mieux, il maîtrise son art. On pense au conseil final de la mamie de Sartre dans Les Mots : « Glissez, mortels, n’appuyez pas. » Sans vouloir écraser le film dans la comparaison – il n’est pas nécessaire d’égaler, il suffit de tendre vers – j’ai pensé au « superficiel » chef d’oeuvre de Proust qui nous décrit son immersion dans un monde pourtant caractérisé par sa vanité et sa vacuité, A la recherche du temps perdu.
L’étude psychologique est peu approfondie ? L’effort est à faire, bien sûr, car elle n’est pas non plus immédiatement révélée, mais elle n’est nullement absente. Ecrasons, là encore : les marionnettes que Voltaire agite dans son Candide en disent plus que bien des romans dits sérieux et qui ne sont que pesants. Les réflexions sur le hasard et la nécessité (Pourquoi suis-je né ? On vit, on mange, on meurt…) ne restent pas, malgré les apparences, au niveau de la plaisanterie de Pierre Dac : “A l’éternelle triple question toujours demeurée sans réponse : “Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?” je réponds : “En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne”.” Ironie suprême du destin (mais c’est Woody Allen qui tire les ficelles) : celui qui ne croit pas à la chance et au hasard, qui est persuadé qu’il maîtrise tout (jusqu’à compter que les autres croiront eux au hasard et que ça masquera ses mauvais coups) est victime de ce même hasard, lequel, en plus, est une vraie chance pour sa potentielle victime. Un peu obscur ? Mais ne pas trop divulgâcher, ce n’est qu’une incitation à voir le film.
De même pour la satire sociale : derrière l’apparent manichéisme, la nuance se révèle à qui est réceptif. Les riches sont bien ciblés, c’est incontestable, et il est clair que Woody Allen prend beaucoup de plaisir dans cette démolition. Mais aucun des personnages n’est totalement tout blanc ni tout noir. Le salaud a ses failles freudiennes (son enfance, ses trains,…) et l’amant bohême et poète n’en est pas le contrepoint positif auquel on pourrait s’attendre, étant souvent plus bobo gâté que bohême humaniste. L’héroïne quant à elle, tantôt intelligente, tantôt stupide ou aveuglée, elle traduit bien en raccourci (en accéléré) ce que sont les diverses facettes, pas toujours cohérentes, de la condition humaine. C’est là sans doute que la performance d’actrice est la plus remarquable, et cela vaut assez rapidement pour le reste du casting jusqu’à ceux qu’on a du mal à qualifier de secondaires (toujours aussi délicieux, Guillaume de Tonquédec). Tous, on le sent bien, prennent un grand plaisir à être embarqués dans cette croisière qui n’est en rien une galère.
Au total, je veux bien admettre que ce n’est pas le meilleur Woody Allen (assez d’accord avec Jean-François ne met rien au-dessus de Match Point) mais le film a bien sa place dans sa filmographie, à ce moment-là de ses créations.
Film testament ? Pas sûr. Il est très écrit et très maîtrisé, mais le talent du vieux Woody (87 ans) gomme les éventuelles coutures avec une légèreté de jeune homme. Peut-être pas un point final donc.